Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAF) : Un marché continental de 1,4 milliard de consommateurs
✍️Par MLDIATTA

L’initiative d’une zone de libre-échange continentale africaine a germé en janvier 2012 lors du sommet des chefs d’État de l’Union africaine tenu à Addis-Abeba. Mais les premiers échanges commerciaux n’ont été effectifs que le 1er janvier 2021, soit neuf ans plus tard… Que de chemin parcouru !
La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), adoptée en mars 2018 et entrée en vigueur le 30 mai 2019 après le dépôt du 22è instrument de ratification, marque une étape cruciale vers l’intégration économique de l’Afrique. Une zone de libre-échange (ZLE) est un accord conclu entre deux ou plusieurs pays afin de créer des conditions favorables à la libre circulation des biens et services entre eux. En pratique, les pays membres d’une ZLE décident d’éliminer les droits d’importation – des taxes sur les biens importés – ainsi que d’autres barrières commerciales à l’intérieur du bloc. Dans le cadre de ses missions de promotion du développement économique et social des pays africains, et de facilitation de leur intégration, la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) a toujours soutenu les efforts visant à mettre en place et à opérationnaliser une zone de libre-échange africaine. L’appui de la CEA à ce projet est principalement piloté par la Division de l’intégration régionale et du commerce (RITD), qui travaille en étroite collaboration avec les autres divisions de la CEA, les bureaux sous-régionaux (BSRO), notamment celui de Niamey dirigé par Mme Ngoné Diop, ainsi qu’avec l’Institut africain de développement économique et de planification (IDEP).
L’Accord portant création de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAF) a été signé sous l’égide de l’Union africaine (UA). Il repose sur un ensemble d’instruments juridiques, comprenant un accord-cadre et plusieurs protocoles, qui sont structurés en différentes phases. La première phase inclut trois protocoles majeurs : le Protocole sur le commerce des marchandises, le Protocole sur le commerce des services et le Protocole sur le règlement des différends. Ces éléments constituent le socle de la libéralisation des échanges et de la gestion des différends commerciaux au sein de la ZLECAF.
La deuxième phase de l’Accord couvre plusieurs aspects essentiels du commerce et du développement économique. Elle englobe les politiques en matière de concurrence, les investissements, les droits de propriété intellectuelle, le commerce numérique, ainsi que l’inclusion des femmes et des jeunes dans le commerce. Cette phase vise à approfondir l’intégration économique et à renforcer les cadres réglementaires nécessaires à une coopération commerciale efficace sur le continent.
Sur le plan institutionnel, la mise en œuvre et la coordination de l’Accord à l’échelle continentale sont assurées par le Secrétariat de la ZLECAF, dont le siège est établi à Accra, au Ghana. Cet organe joue un rôle central dans la supervision et le suivi des actions liées à la ZLECAF. Il agit en soutien à la Conférence des chefs d’État de l’Union africaine, au Conseil des ministres et au Comité des hauts fonctionnaires du commerce de la ZLECAF, garantissant ainsi une gouvernance efficace et une application harmonisée de l’Accord à travers le continent.
Un marché unique de 2 400 milliards de dollars
L’objectif primordial de la ZLECAF est de créer un marché africain intégré permettant la libre circulation des marchandises et des services à travers les frontières intérieures du continent. L’accord vise également à dynamiser le commerce intra-africain et à renforcer la position commerciale de l’Afrique sur les marchés mondiaux. D’une manière générale, la ZLECAF poursuit huit objectifs stratégiques. Elle vise d’abord à créer un marché unique et libéralisé pour les marchandises et les services. Elle entend également favoriser la circulation des capitaux et des personnes physiques, tout en facilitant les investissements en s’appuyant sur les initiatives mises en place par les États parties et les Communautés économiques régionales (CER). L’accord pose aussi les bases de la création d’une union douanière continentale et ambitionne de promouvoir un développement socio-économique inclusif et durable, en mettant l’accent sur l’égalité des genres et la transformation structurelle.
Par ailleurs, la ZLECAF a pour objectif de renforcer la compétitivité des économies des États parties à l’échelle continentale et mondiale. Elle entend encourager le développement industriel par la diversification et l’essor des chaînes de valeur régionales, tout en soutenant le développement agricole et la sécurité alimentaire. Enfin, l’accord cherche à résoudre les défis liés à la multiplicité d’organisations qui se chevauchent au sein des CER et à accélérer les processus d’intégration régionale et continentale.
La ZLECAF revêt une importance capitale pour accélérer le développement durable du continent. Son ambition est de remplacer les petits marchés fragmentés par un marché continental unique regroupant plus de 1,4 milliard de personnes, soit environ un sixième de la population mondiale. Actuellement, l’Afrique est composée de plus de 50 marchés, souvent trop réduits pour attirer des investissements à l’échelle nécessaire à son industrialisation. D’un point de vue économique, en 2021, 17 pays africains affichaient un PIB moyen inférieur à 10 milliards de dollars. En outre, les acteurs du secteur privé sont confrontés à des droits de douane moyens de 6,9 % dans leur commerce intra-africain, auxquels s’ajoutent des contraintes de mobilité et des infrastructures de transport insuffisantes dans un espace morcelé par 107 frontières terrestres. D’importantes barrières non tarifaires, résultant notamment de divergences réglementaires – comme les normes sanitaires, phytosanitaires et techniques – augmentent encore les coûts des échanges.
Relever les défis du développement durable
En créant un marché unique pour les biens et services, la ZLECAF facilite la libre circulation des personnes et des investissements, tout en ouvrant la voie à une Union douanière continentale. Avec 54 pays et plus de 1,4 milliard de personnes, elle vise à accroître le commerce intra-africain, améliorer la compétitivité et promouvoir un développement économique durable. Elle permettra également la diversification et la transformation des économies africaines, contribuant ainsi à relever les défis du développement durable. L’adoption de la ZLECAF jette les bases d’une accélération de l’intégration commerciale, grâce à l’harmonisation et à la simplification des procédures du commerce extérieur. Cet accord couvre la réglementation des échanges de marchandises et de services, des investissements, de la propriété intellectuelle et de la politique de concurrence. La mise en place de la ZLECAF devrait favoriser la croissance du PIB africain, du commerce et du bien-être. Selon les estimations de la CEA, d’ici 2045, le PIB du continent pourrait croître de 0,5 %, soit 55 milliards de dollars, tandis que les exportations africaines augmenteraient de 5 %, soit 110 milliards de dollars. Le bien-être global progresserait de 0,3 %, représentant un gain de 3 milliards de dollars. Bien que le commerce intra-africain ne représentait que 14 % des échanges totaux en 2022, la ZLECAF pourrait stimuler sa croissance de 34 %, générant ainsi 130 milliards de dollars de commerce intra-régional additionnel. L’importance d’un espace économique intégré et solidaire se trouve renforcée dans un contexte marqué par les mutations mondiales et les crises récentes, telles que la pandémie mondiale, les tensions géopolitiques croissantes et les défis climatiques. Une intégration plus poussée, incluant la mobilité des facteurs, la coordination des politiques sectorielles et l’harmonisation des cadres normatifs, améliorerait le pouvoir de négociation des États, l’attractivité des investissements et la résilience aux chocs externes.
54 pays africains signataires
En août 2024, 54 pays africains avaient signé l’accord de la ZLE- CAF et 49 d’entre eux l’avaient ratifié. Afin de faciliter sa mise en œuvre au niveau national, 21 pays ont mis en place des Comités nationaux ZLECAF, tandis que six autres s’appuient sur des structures de coor- dination existantes pour son opérationnalisation. Avec l’appui des partenaires, principalement la Commission économique pour l’Af rique (CEA), 41 pays, dont le Sénégal, ont élaboré et adopté des stratégies natio- nales ZLECAF, accompagnées d’un plan d’action prioritaire. Sur le volet du commerce des marchandises, des progrès significatifs ont été enregistrés.
En 2023, 48 listes provisoires de concessions tarifaires pour l’accès aux marchés ont été adoptées par le Conseil des ministres de la ZLECAF, tandis que trois autres pays ont également soumis leurs off res tarifaires. Par ailleurs, les règles d’origine couvrent désormais 92,43 % du total des lignes tarifaires, traduisant une avancée notable dans la mise en œuvre effective de l’accord. Concernant le commerce des services, 48 listes d’engagements spécifiques ont été adop- tées. Celles-ci couvrent cinq secteurs prioritaires : les services aux entreprises, les services de communication, les services fi- nanciers, les services touristiques et les services de transport. Quant à la deuxième phase de l’accord, elle a également connu des avancées. Les protocoles relatifs à la concurrence, à l’in- vestissement et aux droits de propriété intellectuelle ont été adoptés, marquant une étape clé dans la consolidation du cadre réglementaire de la ZLE- CAF. En parallèle, les protocoles sur les femmes et les jeunes dans le commerce ainsi que sur le commerce numérique sont actuellement en phase finale d’examen par les États membres.
L’Initiative de Commerce Guidé (ICG)
Afin d’accélérer l’opération- nalisation de la ZLECAF, son secrétariat a lancé, le 7 octobre 2022, l’Initiative de Commerce Guidé (ICG). Cette plateforme rassemble les États parties et les entreprises du secteur privé afin de tirer parti des opportunités offertes par la ZLECAF. Elle repose notamment sur l’adhésion des États, qui doivent assurer la conformité de leurs systèmes douaniers aux exigences de participation. La première phase de l’ICG a porté sur le commerce de marchandises, en particulier sur des produits tels que le café, les carreaux de céramique, les com- posants électriques, les fruits secs, le thé et la viande trans- formée. Sept pays pilotes y ont participé : le Cameroun, l’Égypte, le Ghana, le Kenya, l’Île Maurice, le Rwanda et la Tanzanie. Lancée en 2023, la deuxième phase élargit la portée de l’Initiative en augmentant le nombre de produits et de pays couverts. À ce jour, elle a suscité l’intérêt de 39 États membres.