Affaire Joseph Kabila : la RDC à l’épreuve de la transparence économique
Par Nel Charbel KOFFI

Alors qu’il pensait retrouver un peu de calme, l’ancien président de la République démocratique du Congo Joseph Kabila est rattrapé par son passé. En effet, le 19 avril 2025, le gouvernement congolais a surpris tout le monde en ordonnant la saisie des biens de l’ancien président Joseph Kabila Kabange. Cela fait suite à la suspension des activités de son parti, le PPRD, et à l’ouverture de poursuites judiciaires.
Derrière l’onde de choc politique, c’est un vaste dossier à forte dimension économique qui se dessine : celui d’un empire financier soupçonné de s’être bâti dans l’opacité, aux frais de l’État congolais. En 2021, l’enquête explosive Congo Hold-up, fruit d’un travail conjoint entre 19 médias internationaux et ONG, révélait que plus de 138 millions de dollars américains auraient été détournés des caisses publiques de la RDC via la BGFI Bank RDC, établissement contrôlé par des proches du clan Kabila. Selon les documents analysés, des versements suspects effectués par des entreprises minières chinoises opérant dans le cuivre et le cobalt – piliers de l’économie congolaise – auraient été acheminés vers des comptes liés à l’ex-président et à son entourage.
Ce n’est pas tout. Une précédente enquête de Bloomberg, publiée en 2016, avait déjà mis en lumière l’envergure du patrimoine de la famille Kabila. Le rapport évoquait plus de 70 entreprises, opérant dans des secteurs aussi variés que les mines, l’agriculture, les assurances, les télécoms et l’immobilier. Ces sociétés, pour certaines immatriculées dans des juridictions offshore comme le Panama, Niue (Pacifique), ou encore en Tanzanie et aux États-Unis, auraient permis de dissimuler les flux financiers et d’échapper à toute traçabilité.
Aussi, un rapport du Groupe d’étude sur le Congo estimait, dès 2017, que le clan Kabila contrôlait près de 71 000 hectares de terres agricoles, des dizaines de licences minières, ainsi que des participations dans environ 80 entreprises, dont certaines seraient des fournisseurs de l’État congolais lui-même.
La saisie des avoirs de l’ex-président, annoncée par le ministère de la Justice congolais, relance donc un enjeu majeur : l’identification des véritables bénéficiaires économiques de ces actifs. Car derrière les structures formelles se cachent souvent des prête-noms, des sociétés écrans et des réseaux offshore difficiles à démanteler.
La loi n°22/068 du 27 décembre 2022, censée instaurer l’obligation pour les entreprises congolaises de révéler leurs propriétaires effectifs, reste largement inapplicable. Selon le rapport 2022 de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), seulement 47 sur 91 entreprises minières déclarantes ont fourni des informations sur leurs bénéficiaires, souvent incomplètes ou inexploitables.
Pire encore, le registre national prévu pour centraliser ces données n’a toujours pas été mis en place, faute d’arrêté ministériel. Le Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (GABAC), dans son dernier rapport de suivi, fustige les « manquements importants » de la RDC en matière d’accès à l’information sur les personnes morales.
La RDC détient près de 70 % des réserves mondiales de cobalt, un métal stratégique pour les batteries électriques, et figure parmi les cinq premiers producteurs africains de cuivre, d’or et de coltan. Pourtant, selon les données de la Banque mondiale, plus de 60 % de la population congolaise vit encore avec moins de 2,15 dollars par jour.
Ce paradoxe d’un pays immensément riche en ressources naturelles mais structurellement pauvre s’explique en grande partie par la prédation économique opérée via des circuits opaques. Le cas Kabila n’est que le sommet visible d’un système où l’élite politico-économique contrôle des pans entiers de l’économie à travers des montages financiers inaccessibles au fisc et aux citoyens.