Uemoa : la nécessité de passer du cash aux paiements numériques

Le Sénégal a ouvert, ce mercredi 11 décembre à Dakar, la première édition de son Salon Monétique National. Un rendez-vous stratégique consacré au rôle des paiements numériques dans l’inclusion financière et la souveraineté monétaire en Afrique de l’Ouest. Le principal défi auquel sont confrontés les pays de l’Uemoa reste la réduction de l’utilisation du cash, qui représente encore 80 % des transactions malgré l’essor de la digitalisation.
Par Bacary DABO
Les autorités financières, les banques, les fintechs et les opérateurs de services numériques ont unanimement souligné l’urgence d’accélérer la digitalisation de l’économie, alors que plus de 80 % des transactions dans la région se font toujours en espèces.
Selon les chiffres présentés par Mme Ndèye Aminata Diallo, présidente du Comité monétaire national (CMN), l’écosystème numérique soutenu par le mobile money, les cartes bancaires et les services digitaux a permis au Sénégal d’atteindre un taux d’inclusion financière de 85,8 % en 2024, porté par plus de 14 millions de comptes mobiles actifs. L’utilisation de la monnaie électronique progresse également, atteignant 63,6 %, ce qui confirme l’ancrage des usages digitaux dans la vie économique.
M. François Etienne Déthié Sène, directeur de la BCEAO pour le Sénégal, a rappelé le rôle moteur de la plateforme d’interopérabilité PI-SPI, lancée en 2025, qui permet désormais des paiements instantanés entre tous types de comptes à faible coût. Une avancée majeure pour connecter banques, SFD, fintechs et services numériques autour d’un même « rail » régional.
Face à l’essor des services digitaux, les régulateurs appellent toutefois à renforcer la sécurité, la lutte contre la fraude et la protection des données, alors que l’IA et la blockchain transforment les modèles de risque. La BCEAO affirme avoir adopté des standards internationaux stricts pour garantir la confiance des utilisateurs.
Entre innovation, réglementation et souveraineté monétaire, les échanges de ce salon visent à poser les bases d’un système de paiement ouest-africain plus résilient, plus inclusif et moins dépendant des infrastructures internationales. Un enjeu qui concerne autant l’avenir financier des populations que la compétitivité économique de la région.
Dans cette dynamique, M. Ninae Nyankoulibadi, directeur général du GIM-Uemoa, qui prononçait le discours inaugural sur le thème « Du paiement numérique à la souveraineté monétaire : construire les rails africains de l’inclusion financière », attire l’attention sur la révolution silencieuse qui s’installe dans la région.
Selon lui, malgré le dynamisme observé dans l’innovation appliquée aux moyens de paiement, la digitalisation reste incomplète. Elle n’en est « qu’au début parce que le défi majeur ça reste le cash qui représente 80 % des transactions ».
Ce constat amène M. Banda Diop à affirmer que la monétique ne représente plus seulement une alternative : elle est en passe de devenir le cœur de l’inclusion financière et de la modernisation économique. “Nous voyons l’adoption s’accélérer, les innovations se multiplier, et l’accès aux services financiers se démocratiser grâce aux cartes, aux terminaux et au mobile”.
Les orientations stratégiques du GIM-Uemoa
Le cash continue de résister à l’innovation. Dans la zone Uemoa, il représente encore 80 % des transactions. Un état de fait qui, selon M. Nyankoulibadi, limite la visibilité économique, notamment en matière de fiscalité et d’inclusion financière.
« Avec le cash, il y a aucune donnée réelle sur le triptyque épargne, investissement et consommation », a-t-il précisé. Les transactions numériques permettent, elles, aux décideurs de mieux orienter leurs politiques.
Selon lui, les acteurs ont intérêt à privilégier les paiements digitaux parce que chaque transaction constitue un signal et ouvre une nouvelle possibilité. « Le paiement numérique n’est plus un outil c’est un levier », dira le patron du GIM-Uemoa. Il appelle ainsi à anticiper en créant un cadre normatif propice au développement de moyens de paiement adaptés.
Puisque chaque transaction électronique produit une donnée économique, il juge crucial de favoriser les moyens de paiement locaux pour maîtriser ces informations. « Tout doit être mis en œuvre pour la maîtrise des données. Il nous faut construire cette infrastructure cloud privé régionale pour que les acteurs n’hébergent pas leur système à l’extérieur », souligne-t-il.
Dans ce cadre, il plaide pour le développement d’un rail unifié afin d’harmoniser les données et garantir l’universalité des principes de base. Pour le Sénégal, M. Nyankoulibadi propose de dynamiser l’e-commerce local, d’améliorer les paiements publics et de généraliser le paiement numérique, notamment dans les marchés, les taxes et les administrations.
Pour l’Uemoa, il défend le renforcement de la compétitivité régionale, la facilitation des paiements transfrontaliers et la réduction massive du recours au cash. Pour l’Afrique, il appelle à bâtir un modèle exportable.
En matière de recommandations stratégiques, le directeur général du GIM-Uemoa estime que les États doivent digitaliser massivement les flux entrants et sortants, mettre en place un cadre législatif incitatif et soutenir l’acceptation numérique dans tous les secteurs.
Aux banques et aux fintechs, il recommande d’accélérer la digitalisation, d’innover et de collaborer plutôt que de se fragmenter. Aux régulateurs, il demande d’encadrer les acteurs sans freiner l’innovation, et de renforcer la cybersécurité ainsi que la protection des données. Quant au GIM-Uemoa, il l’invite à devenir l’opérateur global régional : schéma de paiement, opérateur d’interopérabilité et processeur régional.