Le miroir du développement de l'Afrique !

Jean-Claude Kassi Brou, Gouverneur de la BCEAO : « Comparée au reste du continent, notre performance est clairement meilleure »

Jean-Claude Kassi Brou, Gouverneur de la BCEAO

Le Comité de politique monétaire (CPM) de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a décidé de baisser ses taux directeurs à l’issue de sa deuxième réunion annuelle, tenue le 4 juin 2025 à Dakar. À l’issue de ce conclave, Jean-Claude Kassi Brou a fait face à la presse pour expliquer les raisons de cette décision, importante pour les investisseurs. Il a surtout insisté sur l’impact attendu de cette mesure sur le crédit aux entreprises privées et aux ménages.

Vous venez tout à l’heure d’annoncer la baisse du taux directeur de 25 points de base. Quelles sont les raisons de cette décision ?

Le Comité de politique monétaire de la Banque centrale a, en effet, décidé de baisser les principaux taux directeurs, notamment le taux minimum de soumission aux appels d’offres et le taux du prêt marginal. Cela correspond à une baisse de 25 points de base. Le taux de soumission aux appels d’offres passe de 3,50 % à 3,25 %, et celui du prêt marginal de 5,50 % à 5,25 %. C’est une baisse qui représente un signal important.

Comme à l’accoutumée, le Comité a examiné la situation d’ensemble : la situation économique internationale et, bien sûr, la situation au niveau régional. Cela, sur la base des données disponibles pour le premier trimestre 2025 et également pour le mois d’avril.

Sur le plan international, on note une croissance revue à la baisse. Vous êtes bien informés : les tensions au niveau international sur les tarifs. Il y a beaucoup de discussions, ce qui a évidemment un impact. Le Fonds monétaire a déjà révisé à la baisse ses prévisions de croissance mondiale. Au niveau régional, le Comité a examiné plusieurs éléments importants, notamment la croissance, l’inflation, la situation extérieure, ainsi que celle des secteurs financiers. La croissance dans la région reste robuste.

Au premier trimestre, nous avons observé une croissance relativement forte de 7 %, voire 7,1 %, ce qui prolonge la dynamique du trimestre précédent. Et qu’est-ce qui soutient cette croissance ? Pratiquement tous les secteurs d’activité sont bien orientés.

Le secteur agricole bénéficie d’une bonne campagne, actuellement en cours. Le secteur secondaire, avec l’industrie, le manufacturier et l’extractif, notamment l’or et le pétrole, affiche également de bons résultats. Le secteur tertiaire aussi, en particulier le commerce. Ces trois secteurs concourent à la hausse globale de la croissance économique. Pour 2025, on s’attend à une croissance autour de 6,3 %, légèrement supérieure à celle enregistrée en 2024. C’est un point important, et je voudrais souligner ici le rôle du secteur pétrolier.

Depuis deux ans, les trois pays producteurs de pétrole et de gaz dans notre Union, le Sénégal, le Niger et la Côte d’Ivoire, enregistrent une croissance continue dans ce secteur. Cela a, bien entendu, un impact sur nos agrégats macroéconomiques. Voilà pour la croissance.

Concernant l’inflation, elle est en baisse depuis plusieurs trimestres. Pour le premier trimestre 2025, le Comité a noté un taux d’environ 2,3 %, contre 2,9 % au trimestre précédent. C’est donc une nouvelle baisse.

Comment expliquez-vous ce repli de l’inflation ?

Il y a essentiellement deux facteurs. D’une part, les marchés sont bien approvisionnés, notamment en produits alimentaires, ce qui est essentiel. D’autre part, les prix à l’importation, qui influencent aussi l’inflation, sont en recul. Ces deux facteurs combinés expliquent pourquoi l’inflation s’est établie à 2,3 % au premier trimestre. Et nos prévisions indiquent un taux autour de 2,2 % pour l’ensemble de l’année 2025.

Rappelez-vous : il y a quelques mois, nous avions estimé l’inflation 2024 à environ 3,5 %. Vous voyez donc la baisse significative, de 3,5 % à 2,2 %.

Le deuxième élément important, ce sont les tendances fondamentales sous-jacentes de l’inflation. Ce qu’on appelle, dans le jargon, « l’inflation sous-jacente ». Ces tendances sont elles aussi bien orientées, ce qui nous rassure sur les perspectives à moyen terme. Cela nous permet d’affirmer que nous avons non seulement atteint notre objectif, la cible étant comprise entre 1 % et 3 %, mais que nous sommes désormais inscrits dans une trajectoire durable. À partir de là, nous pensons pouvoir envisager l’avenir avec beaucoup plus de sérénité.

Le troisième élément examiné par le Comité, c’est la situation extérieure. Elle s’est nettement renforcée. Notre position extérieure s’est améliorée, de même que les comptes extérieurs.

Le compte courant, c’est-à-dire l’ensemble des transactions de biens et de services entre l’Union économique et le reste du monde, s’est redressé. Le déficit courant, qui était autour de 6 % au dernier trimestre, a diminué. Il est aujourd’hui quasiment nul. Pour l’année entière, nous anticipons un déficit du compte courant autour de 3,5 %, ce qui représente une nette amélioration.

Qu’est-ce qui explique cette amélioration ?

Principalement deux choses. D’abord, les termes de l’échange, c’est peut-être un terme technique, ont évolué favorablement. Les prix des produits exportés par l’Union ont augmenté : l’or, le cacao, le café, le phosphate. Cette hausse des prix a contribué à l’amélioration de nos comptes extérieurs. Ensuite, nous avons observé une hausse des financements dans le compte capital. Globalement, tout cela a permis de renforcer la position extérieure de l’UMOA.

Quand vous prenez ces trois développements, et qu’on ajoute à cela le fait qu’au niveau interne le secteur bancaire reste solide — la liquidité bancaire s’est renforcée grâce à plusieurs transferts que nous avons mobilisés, et ça on le voit sur le marché interbancaire, où les taux sont orientés à la baisse.

L’interbancaire, c’est le marché où les banques se prêtent des ressources. Quand les taux y baissent, cela signifie qu’il y a suffisamment de liquidité disponible pour les banques. C’est un élément que nous avons bien noté. Globalement, le Comité a estimé que la combinaison de : croissance, inflation maîtrisée, amélioration des comptes extérieurs, liquidité renforcée, financement bancaire en hausse (le crédit bancaire à l’économie a progressé de 5 % au premier trimestre), dresse un tableau globalement positif.

Mais il y a des risques. Il y en a toujours. Le Comité a évalué ces risques, qui se situent à plusieurs niveaux : international, et régional particulièrement. Mais en tenant compte de tous ces éléments, le Comité a estimé que le taux directeur de la Banque centrale pouvait être abaissé.

Cette décision envoie un signal fort, pour continuer à soutenir l’économie à travers des financements plus importants. Elle devrait entraîner une baisse du coût de mobilisation et d’emprunt des ressources financières, ce qui permettra d’accroître le volume des financements disponibles pour l’économie de manière générale, avec un impact positif sur la croissance.

Ce sont donc les raisons fondamentales qui sous-tendent la baisse décidée par le Comité de politique monétaire. C’est une baisse, comme je l’ai dit, de 25 points de base, et elle permettra, au-delà de tout ce que j’ai déjà indiqué, d’inscrire davantage notre zone dans une dynamique de progrès.

Suite à la décision de baisser le taux directeur de la BCEAO, quel sera l’impact sur le crédit aux entreprises privées et aux ménages ?

Oui, c’est un point que j’ai déjà évoqué brièvement. Ce que nous attendons de cette baisse des taux directeurs, c’est qu’elle permette aux banques, qui viennent se refinancer auprès de la Banque centrale, d’obtenir des ressources à un coût moins élevé.

Ces banques, en mobilisant des ressources moins chères, pourront ensuite prêter à leurs clients, qu’il s’agisse du secteur public, du secteur privé, des ménages ou des entreprises, à des taux moins élevés. C’est ce que nous espérons : que cette baisse soit en partie répercutée aux différents acteurs de l’économie.

Cela devrait stimuler la demande de crédit et en augmenter le volume. C’est cela, l’élément essentiel.

L’inflation a reculé à 2,3 %, et pour l’année 2025, elle est projetée à 2,2 %. Quels pourraient être les effets des tensions commerciales entre les États-Unis, la Chine et la zone euro sur l’inflation dans l’Union ?

Effectivement, l’inflation est de 2,3 % au premier trimestre, et nos prévisions la situent autour de 2,2 % pour l’ensemble de l’année 2025. Bien sûr, comme je l’ai mentionné, nous avons examiné les risques existants. J’ai parlé de trois risques. Le premier est international, et c’est celui que vous venez de citer. On observe aujourd’hui une hausse des droits de douane, et la tension qu’il y a entre les différents pays, les grandes puissances économiques en particulier. C’est un facteur de risque.

Nous avons fait des projections pour évaluer l’impact de ces hausses des tarifs appliquées sur nos pays. Nous avons distingué les effets directs et les effets indirects. Ces derniers sont pour l’instant relativement faibles, mais nous restons attentifs, car tout dépendra de l’issue des négociations en cours.

Nous surveillons ces effets indirects, car ils peuvent, à terme, avoir des conséquences. Nous sommes toujours en train d’évaluer ces conséquences, car les négociations internationales ne sont pas encore finalisées. Mais c’est un risque. Si cela se concrétise, cela pourrait avoir un impact sur la demande globale. Et si la demande globale est affectée, cela influencera les prix des produits que nous exportons, et donc aura un effet sur nos échanges et sur la balance extérieure. Ces hausses tarifaires peuvent entraîner une augmentation de l’inflation mondiale. Et si l’inflation mondiale progresse, elle risque aussi de transmettre à l’inflation dans l’Union.

Troisièmement, si l’inflation mondiale repart à la hausse, cela pourrait entraîner un resserrement des taux d’intérêt à l’international. Et si cela se produit, comme nous l’avons vu en 2022 et 2023, cela limiterait les capacités de financement de nos pays sur les marchés internationaux. Donc, tout cela constitue des risques.

Comme je l’ai indiqué, ce sont surtout les effets indirects qu’il faut apprécier. Et nous les surveillons de près, tant que les négociations internationales se poursuivent. Ce risque sur l’inflation fait clairement partie de ceux que nous avons pris en compte.

Un deuxième risque que nous suivons de près concerne le contexte régional : c’est le risque sécuritaire. Vous savez que certains pays de notre région subissent des attaques terroristes. Cela engendre évidemment une insécurité qui a déjà, ou peut avoir, un impact sur la production, sur les prix dans certaines zones, sur la circulation des produits, sur l’approvisionnement des marchés, et ainsi de suite. C’est un risque qui pèse sur la production, sur le PIB, et bien sûr sur l’inflation.

Mais ce risque peut aussi se traduire par une hausse des dépenses budgétaires des États pour faire face à ces menaces. Et s’il y a une augmentation des dépenses publiques, cela complique encore davantage la réduction des déficits. C’est donc un risque que nous suivons également avec attention.

Le troisième risque, c’est celui lié au changement climatique. Pour 2024-2025, nous avons prévu une bonne campagne agricole. Mais s’il survient des perturbations climatiques, cela pourrait compromettre cette campagne. Cela aurait un impact sur la production, sur les prix, sur l’inflation, sur les exportations, etc. Ce sont donc des risques à suivre. Des risques à intégrer dans l’analyse. Il faut les prendre en compte dans nos estimations et dans nos projections économiques.

Cela dit, pour 2025, comme je vous l’ai mentionné, sur la base des informations disponibles aujourd’hui, la Banque centrale estime que l’inflation devrait se situer autour de 2,2 %.

Votre mot de fin ?

Je dirais que, globalement, la situation est positive, et c’est une bonne chose. Mais j’aimerais revenir sur un point important : l’évaluation que nous faisons du tableau macroéconomique de notre zone montre que, comparée au reste du continent, notre performance est clairement meilleure.

J’ai indiqué que la croissance était de 6 % dans l’Union, et qu’elle devrait atteindre 6,3 % en 2025. Cela se compare à une croissance moyenne de 3,8 % sur l’ensemble du continent africain. Cela montre que nous enregistrons une performance solide.

En matière d’inflation, nos 2,2 % représentent environ un cinquième de la moyenne constatée sur le continent. Et nous avons, en plus, une position extérieure qui s’est renforcée.

Tout cela montre que nous avons un système qui fonctionne, un système qui produit des résultats. Contrairement à ce que l’on entend ici ou là, notre performance est bien supérieure. Ce sont des faits, ce sont des chiffres publiés par le Fonds monétaire international, la Banque mondiale.

Notre système crée de la richesse. Il protège les déposants et les épargnants grâce à une inflation maîtrisée. Il crée de la confiance, ce qui permet aux acteurs d’investir. Et c’est cela qui compte : cette dynamique positive.

Les résultats le montrent : aujourd’hui, contrairement à certaines critiques, notre système apporte des réponses concrètes au service du bien-être des agents économiques. Il soutient la croissance, la création de valeur, la stabilité des prix, l’équilibre des comptes extérieurs, et la solidité du cadre macroéconomique. C’est important de le rappeler.

Propos recueillis par Bacary DABO