Développement : Adesina Akinwumi invite à repenser les dynamiques économiques entre l’Afrique et le reste du monde
✍️Par Jesdias LIKPETE

Lors des dernières assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina, président de l’institution, a lancé un message fort devant plusieurs chefs d’État africains : les entreprises qui exploitent les ressources du continent doivent y payer leurs impôts. Dans une interview accordée à La Tribune Afrique, il revient en détails sur ce plaidoyer qui sonne à la fois comme une dénonciation et un appel à l’action.
« L’Afrique dispose de nombreuses ressources naturelles, mais n’en profite pas comme elle le devrait », déplore Akinwumi Adesina. Selon lui, les multinationales qui exploitent les ressources naturelles du continent, au lieu de contribuer au développement économique, échappent à leurs obligations fiscales, transfèrent leurs bénéfices à l’étranger et participent à des flux de capitaux illicites. Résultat : Les pays africains sont riches en actifs naturels, mais se retrouvent appauvris par leur exploitation.
Cette réalité contraste avec les pratiques observées en Europe ou aux États-Unis, et constitue une préoccupation essentielle à régler. « Lorsqu’une entreprise travaille dans n’importe quelle partie du monde, en Europe ou aux États-Unis, elle y paie des impôts. Pourquoi ne paye-t-elle pas d’impôts en Afrique ? », interroge le président de la BAD.
Pour remédier à cette situation, la BAD milite pour à une réforme globale de la fiscalité internationale. « Nous avons tout d’abord soutenu l’idée d’une réforme de la structure mondiale de l’impôt sur les sociétés, afin d’avoir des règles uniformes applicables à tous les pays et proportionner le paiement des impôts à l’exploitation des ressources, quelles qu’elles soient », explique-t-il.
Selon lui, les chefs d’État africains défendent, aujourd’hui, cette réforme avec force, conscients qu’il est indispensable de revoir le régime fiscal mondial pour que les pays puissent réellement tirer parti de leurs actifs.
En parallèle, la BAD a mis en place la « Facilité africaine de soutien juridique » qui aide les pays à renégocier des contrats déséquilibrés, à gérer leurs dettes et à contrer les abus des fonds vautours.
Grâce à ce mécanisme, explique le leader nigérian, un pays africain a récemment vu sa dette envers un autre réduit de 94 %. « Ce pays ne maîtrisait pas les accords qu’il signait », explique Adesina.
L’investissement responsable, une nécessité
Akinwumi Adesina a, par ailleurs, appelé les États africains à plus de prudence lors du recours aux investissements, notamment étrangers. Pour lui, les investissements étrangers restent essentiels, mais doivent être responsables. Ils doivent bénéficier non seulement aux entreprises, mais aussi aux communautés locales et aux États.
Il met également en garde contre l’excès d’incitations fiscales, qu’il compare au sucre. « Accorder beaucoup d’incitations, c’est comme donner trop de sucre aux investisseurs », prévient-il. Trop de largesses fiscales réduisent les marges de manœuvre des États et affaiblissent leurs économies.
« A mon avis, les pays eux-mêmes se rendent compte que leur marge de manœuvre budgétaire est très limitée et qu’il n’y a donc pas tant de cadeaux à faire », a-t-il souligné.
Malgré ces défis, Adesina reste optimiste quant au potentiel de l’Afrique. Il souligne que le continent offre des opportunités exceptionnelles : un marché vaste, une classe moyenne en pleine croissance, des taux de rendement attractifs et un faible taux de défaillance. « La proposition d’investissement de l’Afrique est claire », affirme-t-il.
Mais pour que cette vision devienne réalité, il est nécessaire de revoir les mécanismes fiscaux et d’encourager des pratiques plus justes.