Commerce intra-africain : Un bilan mitigé quatre ans après
✍️Par Boubacar GASSAMA

En janvier 2021, l’entrée en vigueur de la ZLECAf avait suscité beaucoup d’engouement et d’espoir pour enfin voir se matérialiser un vœu des pères fondateurs de l’Union africaine. Quatre ans plus tard, l’initiative est toujours au stade de lancement, avec un faible niveau d’échanges.
La CEA, qui a joué un rôle essentiel dans la mise en place de la ZLECAf, rappelle qu’il s’agit de la plus grande zone de libre-échange au monde en termes de nombre d’États membres et de portée. En effet, fin décembre 2024, 54 des 55 États membres de l’Union africaine (UA) avaient signé l’accord, l’Érythrée étant la seule exception. Parmi ces signataires, 48 pays ont déposé leur instrument de ratification. Selon la CEA, cinq instruments opérationnels ont été créés dans le cadre de la ZLECAf afin de faciliter l’implémentation de l’accord. Il s’agit notamment de l’E-Tariff Book, une plateforme numérique contenant les listes tarifaires avec les taux applicables pour tous les États parties de la ZLECAf, basés sur le système harmonisé à six chiffres (SH) de l’OMD. En outre, un Manuel des règles d’origine a été mis en place pour servir de guide à l’opérationnalisation de l’annexe 2 sur les règles d’origine. Il fournit des informations détaillées sur la manière de déterminer l’origine nationale des marchandises afin qu’elles puissent être échangées entre les États parties dans le cadre des taux tarifaires préférentiels de la ZLECAf. S’ajoute également un mécanisme pour éliminer les BNT, un portail permettant le signalement en ligne des barrières non tarifaires (BNT) identifiées, y compris par SMS. À cela s’ajoutent le système panafricain de paiement et de règlement, ainsi que la plateforme de l’observatoire du commerce africain.
Malgré cet arsenal d’outils et une volonté affichée de faciliter les échanges, les transactions intra-africaines restent en deçà des attentes. Toutefois, selon la CEA, quelques transactions ont eu lieu dans le cadre de l’initiative guidée du commerce. « Malgré le fait que les échanges dans le cadre de la ZLECAf aient officiellement commencé le 1er janvier 2021, aucun échange n’a eu lieu dans le cadre de l’accord jusqu’en octobre 2022 avec le lancement de l’initiative de commerce guidé de la ZLECAf », a indiqué le service presse de la CEA. Lancée par le Secrétariat de la ZLECAf, cette initiative est considérée par la CEA comme une solution provisoire visant à initier des échanges commerciaux entre les États parties intéressés ayant satisfait aux exigences minimales pour commencer à commercer dans le cadre de l’accord. Selon la Commission, cette initiative vise à tester l’état de préparation du secteur privé ainsi que l’environnement opérationnel, institutionnel, juridique et de politique commerciale de la ZLECAf. Elle a débuté avec sept pays (Cameroun, Égypte, Ghana, Kenya, Maurice, Rwanda et Tanzania), rejoints ensuite par la Tunisie, et couvrait un nombre limité de produits. Toutefois, son champ d’application et sa couverture ont été élargis lors de la deuxième phase, actuellement en cours, avec l’adhésion de plus de 30 pays, dont les deux plus grandes économies du continent : l’Afrique du Sud et le Nigeria. Sans nommer les pays qui accusent du retard, la CEA se félicite de la trentaine d’États ayant rejoint l’initiative du commerce guidé.
Initiative du commerce guidé : une mise en œuvre laborieuse
En dépit des progrès enregistrés, des difficultés persistent dans l’opérationnalisation de l’initiative du commerce guidé de la ZLECAf. Parmi les principaux points de blocage figurent, entre autres, une compréhension limitée des procédures d’importation/exportation et des exigences réglementaires dans les pays d’origine et de destination. S’ajoutent à cela des retards dans l’obtention des certificats d’origine de la ZLECAf, ainsi que des problèmes liés au transport, à la logistique et à la connectivité pour l’acheminement des marchandises du pays exportateur au pays importateur. Comme le confirme la CEA, les États parties ont pris des mesures réglementaires au niveau national pour mettre en œuvre l’accord. La plupart d’entre eux ont adopté des stratégies nationales de mise en œuvre de la ZLECAf, élaborées à l’issue de processus rigoureux, fondés sur des données probantes et des consultations. Selon l’organisme onusien, ces stratégies permettront aux gouvernements de cibler les secteurs prioritaires et de prendre toutes les mesures nécessaires pour appliquer pleinement l’accord. Par ailleurs, de nombreux États parties ont également créé des comités nationaux de mise en œuvre, composés de représentants des secteurs public et privé concernés. Cependant, la CEA exhorte les États parties à revoir et réformer en profondeur leurs cadres juridiques et institutionnels nationaux afin de garantir leur alignement avec l’accord et d’en faciliter la mise en œuvre effective.
Des défis à relever pour la mise en œuvre de la ZLECAf
Selon la CEA, l’un des principaux défis à relever concerne la capacité institutionnelle limitée de certains États membres à gérer les nouveaux règlements commerciaux et à mettre en œuvre les réformes nécessaires. Elle souligne également un autre défi majeur : l’insuffisance des infrastructures, qui entrave la fluidité des échanges commerciaux et limite l’accès aux marchés. En effet, les infrastructures de transport, telles que les routes, les chemins de fer, les ports et les aéroports, sont souvent inadéquates ou mal entretenues, ce qui augmente les coûts logistiques et allonge les délais de livraison. À cela s’ajoutent les disparités économiques entre les États membres, qui constituent un obstacle important à surmonter. Pour ne rien arranger, les pays africains présentent des niveaux de développement économique très variés, ce qui peut engendrer des tensions et des inégalités dans la répartition des bénéfices de la ZLECAf. En matière de difficultés rencontrées dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord, la CEA cite notamment les règles d’origine. « Depuis la signature de l’accord, les États membres n’ont toujours pas encore finalisé les négociations sur les règles d’origine, notamment dans les secteurs du textile et de l’habillement ainsi que de l’automobile », estime le service de presse de la Commission. Toutefois, elle note une avancée ces derniers mois sur la question, avec 92,3 % des lignes tarifaires déjà finalisées. Une autre difficulté concerne la soumission des listes de concessions tarifaires, qui a pris du retard, certaines Communautés économiques régionales (CER) ayant opté pour une soumission régionale.
Des perspectives encourageantes malgré l’ampleur des défis
Conformément aux principes de base, la perspective à long terme de la ZLECAf est d’aboutir à une intégration économique complète de l’Afrique, avec un marché unique pour les biens, les services, les capitaux et la main-d’œuvre. Pour la CEA, cela passe par une mise en œuvre complète de l’accord, impliquant tous les États, au-delà des seuls participants à l’initiative de commerce guidé. Il est donc impératif que les États accélèrent l’application de la ZLECAf en s’appuyant sur leurs stratégies nationales. En outre, le renforcement des capacités et une sensibilisation accrue des parties prenantes, tant publiques que privées, joueront un rôle clé dans le maintien de l’intérêt et de l’engagement autour de la ZLECAF