BTP sénégalais : Vives tensions entre les entrepreneurs et le gouvernement

Suite aux déclarations jugées « menaçantes » du ministre des Infrastructures, Déthié Fall, le syndicat patronal du BTP monte au créneau. Dénonçant une « stigmatisation » de la profession, le SPEBTPS met en lumière, dans un communiqué daté du 9 décembre, un problème structurel majeur : les retards de paiement de l’État, qui fragilisent un secteur pourtant stratégique pour l’économie nationale.
Par Bacary DABO
Les propos du ministre des infrastructures ont mis le feu aux poudres dans le secteur du BTP. L’hémicycle de l’Assemblée nationale a été le théâtre, le 8 décembre 2025, d’une intervention très remarquée de M. Déthié Fall. Lors d’une session budgétaire, le ministre a, en effet, adopté un ton particulièrement ferme envers les entreprises du Bâtiment et des Travaux publics (BTP). Si le Syndicat professionnel des entrepreneurs du Bâtiment et des Travaux publics du Sénégal (SPEBTPS) dit saluer toute initiative visant à améliorer la qualité des ouvrages publics, il a réagi sans attendre.
Dans un communiqué publié dès le lendemain, le syndicat dénonce un ton « menaçant » et des propos qui « jettent l’anathème sur l’ensemble du secteur ». Selon les entrepreneurs, les déclarations ministérielles laissent entendre une « présomption généralisée de médiocrité ou de malhonnêteté », une accusation qu’ils jugent inacceptable et dangereuse pour la santé économique de leurs entreprises.
« Ne pas jeter l’opprobre sur toute une profession »
La réponse du SPEBTPS est sans ambiguïté. Le syndicat insiste sur la distinction essentielle entre les entreprises structurées, identifiées et partenaires de longue date de l’État, et des « opérateurs occasionnels, non répertoriés ou dépourvus des capacités techniques requises ». Selon l’organe, ce sont ces derniers qui seraient à l’origine de la plupart des manquements constatés sur certains chantiers.
« Il serait injuste de faire peser sur toute une profession les fautes de quelques acteurs isolés », fustige l’organisation.
Au-delà de la défense de leur réputation, les entrepreneurs alertent sur les risques économiques d’une telle stigmatisation. Ils redoutent un affaiblissement de la crédibilité des entreprises locales, ce qui pourrait compliquer leur accès aux financements et aux marchés.
Un discours perçu comme accusateur pourrait également décourager l’investissement dans un secteur déjà sous tension, et nuire à l’image d’une profession qui revendique une contribution déterminante au développement national depuis des décennies.
Le nœud du problème : les retards de paiement de l’État
Le SPEBTPS profite de cette mise au point pour mettre en avant ce qu’il considère comme l’une des principales sources des difficultés du secteur : la défaillance de l’État en tant que donneur d’ordre. Le communiqué rappelle que « la performance et la qualité des travaux sont directement liées à la capacité des entreprises à mobiliser leurs ressources humaines, techniques et financières ». Or cette capacité est largement affaiblie par les retards de paiement récurrents de l’administration.
Le syndicat précise que les entreprises sénégalaises sont régulièrement contraintes de préfinancer les marchés publics sur leurs fonds propres ou de maintenir leurs équipes sur les chantiers pendant des mois sans recevoir les paiements dus.
Ces tensions de trésorerie deviennent souvent insoutenables, entraînant arrêts de chantier ou difficultés à honorer les engagements. Un cercle vicieux qui affecte directement la qualité et les délais des infrastructures.
Le respect strict des délais contractuels de paiement par l’État n’est donc pas, selon le syndicat, une faveur mais une « condition essentielle » à la bonne exécution des projets publics.
Un partenariat État–entreprises à réinventer
Face à ce qu’il perçoit comme une mise en accusation publique, le SPEBTPS lance un appel au dialogue. Plutôt que « l’indexation globale d’un secteur stratégique », le syndicat plaide pour une démarche fondée sur la concertation, l’écoute et une évaluation objective, projet par projet. Il rappelle que les entreprises sénégalaises ont fait leurs preuves, livrant des ouvrages conformes aux normes, au Sénégal comme à l’international, tout en investissant dans l’innovation et la formation.
Le syndicat se dit « pleinement disponible pour travailler, dans un esprit républicain, à l’amélioration continue du secteur ». Une main tendue qui vise à restaurer un climat de confiance et de respect mutuel, indispensable à un partenariat solide entre l’État et les acteurs économiques locaux.
En toile de fond, les entreprises du BTP affiliées au Conseil national du patronat rappellent que l’ambition du gouvernement en matière d’infrastructures ne pourra se concrétiser en affaiblissant les entreprises nationales qui en sont les maîtres d’œuvre.
La balle est désormais dans le camp de l’exécutif pour transformer cette confrontation en une collaboration constructive.