Tourisme de croisière : 6 pays africains se mettent en synergie
Par Mamadou Lamine DIATTA

Sous l’égide de l’Agence sénégalaise de promotion touristique (ASPT), le tout premier salon international du tourisme de littoral et de croisière (SATOLIC) s’est récemment tenu. En marge de cette rencontre, de hauts responsables de six pays africains ont lancé une grande coalition pour développer cet important segment du tourisme.
Au Sénégal, le tourisme de croisière ne concerne actuellement que 10 000 passagers par an, soit à peine 0,03% du marché mondial. Le Cap-Vert fait bien mieux avec près de 40 000 passagers annuels, selon le voyagiste Alain Noël. Face à ce décalage, l’échange d’expériences entre pays africains s’impose pour exploiter au mieux leurs potentialités respectives. Les enjeux sont nombreux, tels que la création d’emplois pour les jeunes, la lutte contre l’émigration clandestine et l’attractivité des pôles touristiques du littoral.
Visiter plusieurs pays africains en un seul voyage
Le tourisme occupe une place centrale dans la stratégie Vision Sénégal 2050, le référentiel actuel des politiques publiques du gouvernement dirigé par Ousmane Sonko, sous l’impulsion du chef de l’État, Bassirou Diomaye Faye. Le segment de la croisière cible principalement les marchés émetteurs d’Europe et d’Amérique.
Pour le ministre sénégalais du Tourisme et de l’Artisanat, Mountaga Diao, hôte de ses homologues africains, la finalité c’est de placer le Sénégal dans une position compétitive forte, conformément à la vision stratégique d’un pays souverain, juste et prospère. Pour lui, le SATOLIC traduit parfaitement cette vision audacieuse de transformer la sous-région en une destination internationale de référence, où l’authenticité des structures locales se marie à l’innovation. « Nous ne nous contentons pas de rêver grand, nous agissons pour concrétiser cette ambition », précise-t-il. L’idée est de créer un écosystème où tourisme d’affaires, écotourisme et plages de rêve côtoient les trésors culturels de la région.
Très enthousiaste à cette idée, il souligne que le tourisme de croisière symbolise l’ouverture du Sénégal sur le monde. Quant au port de Dakar, porte d’entrée majeure en Afrique de l’Ouest, accueille de nombreuses flottes de navires, offrant aux voyageurs une immersion dans la légendaire Teranga, symbole de l’hospitalité sénégalaise.
Vers une stratégie panafricaine intégrée
Malgré le dynamisme exceptionnel du marché des croisières, crédité d’une forte croissance depuis la fin de la crise du Covid-19, la part de marché du Sénégal reste encore modeste au regard de son potentiel.
Pour ce pays, chantre du panafricanisme, renforcer l’intégration régionale à travers des programmes économiques communs est primordial. À ce titre, insiste le ministre Mountaga Diao, partager le même littoral avec plusieurs autres pays frères tels que la Gambie, la Mauritanie, la Guinée-Bissau, le Cap-Vert et le Gabon est une opportunité à saisir afin de conquérir ensemble le marché du tourisme de croisière.
Selon lui, le Gabon, par son histoire et sa situation géographique stratégique est un partenaire naturel. « De par notre histoire commune, nous avons un accès privilégié aux marchés français, anglais, lusophone, arabophone et, surtout, la Diaspora noire qui cherche à visiter l’Afrique dans sa diversité en un seul voyage. Nous devons œuvrer pour une offre sous régionale compétitive et travailler d’ores et déjà pour sa promotion », a conclu Monsieur Diao.

Gambie, Mauritanie, Cap-Vert et Guinée-Bissau : Même combat
Situés le long du littoral ouest-africain, la Gambie, la Mauritanie, la Guinée-Bissau et le Cap-Vert ont été aux avant-postes des assises de Dakar sur le développement du tourisme de croisière dans le continent.
Abdoulaye Diop, ministre gambien du Tourisme et des Arts, est convaincu que le SATOLIC traduit parfaitement le leadership du Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et du Premier ministre Ousmane Sonko. « Ce sont les leaders qui créent les évènements et non les discours stériles », martèle-t-il. « Nous devons promouvoir les échanges d’expériences, car, comme l’a si bien dit Racine Sy, nous devons renforcer notre collaboration », renchérit-il.
Pour lui, l’UEMOA et la CEDEAO sont des cadres de concertation formels qu’il convient d’exploiter pleinement pour réussir cet ambitieux défi de dynamiser le tourisme de croisière sur le continent. Même son de cloche du côté d’Elhadj Amadou Gaye, secrétaire général du ministère mauritanien du tourisme, et Maria Carvalho, directrice générale de l’Institut cap-verdien du Tourisme.

Le Gabon en pôle-position
Le potentiel du tourisme de croisière dépasse largement les retombées économiques immédiates. Pascal Ogowe Siffon, ministre du Tourisme et de l’artisanat du Gabon, a été l’une des personnalités marquantes de la rencontre de Dakar.
La présence du Gabon au SATOLIC, en tant que pays observateur, s’inscrit dans une dynamique d’unité et de collaboration Porté par un sens aigu de l’honneur et de la responsabilité, le ministre gabonais a salué l’engagement des autorités à faire du SATOLIC une plateforme incontournable de réflexion et de valorisation du tourisme maritime.
Les liens historiques entre le Sénégal et le Gabon ont été évoqués, notamment à travers l’initiative du tourisme mémoriel liée au passage au Gabon de l’éminent chef religieux Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du Mouridisme.
Ensemble, les six pays africains ont les capacités de bâtir un modèle de coopération durable. Surtout que le tourisme de croisière représente aujourd’hui un levier stratégique de développement de leurs économies. L’Afrique, avec ses côtes spectaculaires, ses cultures diversifiées et ses écosystèmes uniques, dispose de tous les atouts pour devenir une destination de choix pour les croisiéristes. Au Gabon, les plages immaculées, la biodiversité exceptionnelle et les parcs nationaux offrent des expériences inoubliables. Le gouvernement en a fait une priorité dans le cadre de sa stratégie de diversification économique et de valorisation du patrimoine naturel et culturel.
Selon le ministre Ogowe Siffon, le potentiel du tourisme de croisière va bien au-delà du simple bénéfice économique. Il est une excellente opportunité pour faire découvrir au monde la richesse et la beauté d’un pays. En conséquence, les Africains ont le devoir de le développer de manière durable, dans le respect de l’environnement, la préservation de la biodiversité et l’implication des communautés locales. À ce titre, le Gabon, partenaire de l’Afrique centrale, s’engage à promouvoir un tourisme responsable et à encourager des solutions innovantes pour créer un pacte économique autour des croisières. « Ensemble, en renforçant notre coopération et en impliquant fortement le secteur privé, nous pourrons relever ce défi », a souligné le ministre gabonais.
Cette synergie régionale vise à tisser des liens économiques et culturels forts entre les six pays concernés. Selon l’autorité gabonaise, la conjugaison de leurs atouts et de leurs efforts de promotion devrait permettre de créer une expérience touristique originale, à travers une mosaïque vivante de cultures, de paysages et d’histoires.
Pour rappel, le SATOLIC constitue une opportunité unique pour promouvoir le tourisme de croisière en Afrique, dans un contexte de forte croissance mondiale du secteur. Cette dynamique appelle à intégrer infrastructures modernes, régulations adaptées et respect des normes environnementales, pour un développement touristique durable.
Enfin, un hommage a été rendu à la Compagnie du Fleuve, exploitant l’unique bateau de croisière au Sénégal, le Bou El Mogdad, véritable emblème du tourisme fluvial dans la région.
Mamadou Racine SY, Président de la fédération des organisations patronales de l’industrie touristique en Afrique de l’ouest
« Les États doivent encourager les investissements dans les croisières »
Président de la Fédération des organisations patronales de l’industrie touristique en Afrique de l’Ouest (COPITOUR CEDEAO), Mamadou Racine SY est également le leader de la Fédération des organisations patronales de l’industrie touristique au Sénégal (FOPITS). Dans cet entretien, il met en lumière l’indispensable interaction entre les États et le secteur privé pour faire du tourisme un véritable levier de développement.
Quelle appréciation faites-vous de la présence de cinq pays africains, en plus du Sénégal, à ce premier SATOLIC ?
La présence de haut niveau de cinq pays ouest-africains en synergie avec le Sénégal est à apprécier à sa juste valeur. Nous nous sommes réjouis de cette participation massive à ce premier Salon du littoral tenu au Sénégal, pays qui, depuis les indépendances, exerce un leadership incontestable dans la sous-région en matière de tourisme.
Depuis les années 1960, le secteur touristique existait déjà au Sénégal et a connu plusieurs évolutions institutionnelles. On peut, entre autres, citer l’existence d’un office, d’un service, d’une direction du tourisme et même d’un secrétariat et d’un ministère du Tourisme. Nous avons donc très tôt accordé une importance particulière à ce secteur.
Nous voulons remercier particulièrement le chef de l’État Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko pour avoir, lors d’un récent Conseil des ministres, magnifié et réaffirmé l’importance que le gouvernement accorde au secteur.
Nous avons l’espoir que, dans le cadre du Conseil interministériel qui sera bientôt présidé par le Premier ministre, des décisions majeures seront prises pour permettre au tourisme d’atteindre le niveau escompté, d’autant que le tourisme est le deuxième secteur d’activités économiques au Sénégal.
Nous avons la conviction que le gouvernement mettra tout en œuvre pour atteindre les objectifs fixés dans ce domaine, évidemment en concertation avec le secteur privé touristique, car, encore une fois, rien ne peut se faire sans une interaction entre les pouvoirs publics et le secteur privé.
Ce point de vue, le chef de l’État l’a très tôt compris et a lancé un appel aux acteurs privés pour qu’ils partagent les ambitions du gouvernement dans ce domaine.
Quelle est la plus-value apportée par cette rencontre internationale pour le tourisme en Afrique de l’Ouest ?
Ce salon dédié au tourisme du littoral et de la croisière est un événement crucial pour notre secteur. Notre sous-région ouest-africaine, véritable bénédiction de la nature, possède des côtes magnifiques, une riche biodiversité et une culture vibrante qui attirent des millions de visiteurs chaque année.
Le tourisme côtier et de croisière sont des leviers clés de notre économie, car ils créent des emplois, favorisent les investissements et assurent la promotion de notre patrimoine. Le Sénégal et ses voisins sont à un tournant décisif avec l’augmentation des infrastructures portuaires et les initiatives gouvernementales visant à encourager le tourisme.
Nous avons ainsi l’opportunité de nous positionner comme une destination de choix en Afrique de l’Ouest. Ce salon innovant est une plateforme essentielle pour échanger des idées, établir des partenariats et promouvoir nos activités.
Je tiens également à souligner l’importance d’une interaction entre l’État et le secteur privé. Ensemble, nous pourrons développer des offres innovantes et durables qui répondent aux attentes des voyageurs tout en préservant notre environnement. C’est la raison pour laquelle nous invitons tout le monde à explorer les nombreuses opportunités offertes par ce salon pour faire de notre sous-région et, plus largement, de l’Afrique, une destination phare sur la scène internationale.
Comme vous le savez, l’Afrique ne représente qu’une infime part du marché mondial du tourisme international. Pourtant, nous avons tous les atouts pour développer ce secteur transversal. Pour preuve, j’ai dénoncé il y a quelque temps à Bamako le fait que toutes les compagnies aériennes quittent Dakar à 8 heures pour se rendre à Bamako. Cela rime à quoi ? Idem pour la destination Abidjan ; des compagnies africaines quittent Dakar à la même heure pour diverses villes du continent. Nous pensons qu’il faut mutualiser les forces afin de bâtir de grands ensembles dans le domaine aérien pour mieux accompagner le tourisme.
C’est comme lorsque nous participons à des salons internationaux ; vous voyez un petit stand du Sénégal, un autre du Mali juste à côté, puis un autre de la Gambie. C’est contre-productif, d’autant que nous faisons partie de la même sous-région, avec le même peuple, les mêmes atouts et les mêmes ambitions. Nous avons donc l’obligation de mutualiser nos forces pour créer un grand stand de 200 à 300 m². Voilà les enjeux.
Quid des opportunités qu’offre ce segment peu exploité du tourisme de croisière ?
En organisant le premier Salon du tourisme du littoral et de la croisière (SATOLIC), le Sénégal a fini d’asseoir son leadership dans ce secteur dynamique et transversal. Lorsque le tourisme prospère, tous les autres secteurs d’activités suivent. Il faut espérer que cet événement ne soit pas une exposition panafricaine de plus et qu’il y ait un suivi rigoureux des conclusions issues de la Déclaration de Dakar. Nous avons bon espoir qu’il y aura un nouvel état d’esprit afin que ce marché prometteur des croisières puisse prendre forme et se consolider.
Le tourisme est déjà une industrie à part entière et doit être reconnu comme telle. Il faut encourager les investissements dans les croisières au Sénégal. À ce jour, seule la Compagnie du Fleuve propose des croisières à travers l’exploitation du navire « Bou El Mogdad », qui assure la liaison Saint-Louis – Richard-Toll – Podor. Beaucoup de Sénégalais ignorent encore le cadre enchanteur qu’offre le « Bou El Mogdad ».
Le Sénégal accueille des bateaux de croisière, mais pas encore suffisamment pour créer un véritable effet d’entraînement. C’est sur cet aspect qu’il faut concentrer les efforts pour que le pays devienne une destination prisée dans ce segment, en complément de l’offre existante en matière de tourisme balnéaire, d’écotourisme et de tourisme culturel.
Un conseil interministériel consacré au tourisme est en préparation, et nous attendons des mesures audacieuses en termes d’incitations fiscales et de soutien de l’État.